Le Dr Stéphanie Torrino, jeune chercheure nouvellement recrutée au CNRS et lauréate de l’appel à projets Émergence 2022 du Canceropôle Provence-Alpes-Côte d’Azur, nous parle de ses recherches centrées sur les relations entre les contraintes mécaniques et la progression tumorale. Installée à l’Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire (IPMC) à Sophia Antipolis, elle développe son projet dans le groupe du Dr Thomas Bertero au sein de l’équipe dirigée par le Dr Bernard Mari.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?

Je m’intéresse depuis longtemps à l’impact des contraintes mécaniques sur le comportement des cellules dans le cadre de la biologie du cancer.

Après une thèse en biologie cellulaire réalisée au C3M à Nice dans l’équipe d’Emmanuel Lemichez, j’ai effectué un post doctorat dans l’équipe du Dr Christophe Lamaze à l’Institut Curie à Paris pour travailler sur des modèles de cancer du sein. J’ai ainsi pu montrer que les contraintes mécaniques exercées sur les cellules ont un impact sur la progression tumorale, un effet qui passe par l’activation de mécano senseurs que sont les cavéoles. J’ai ensuite rejoint l’équipe du Dr Frédéric Bost au C3M, où j’ai continué à travailler sur les contraintes mécaniques, cette fois dans le cadre du cancer de la prostate et de la résistance au traitement. C’est là que j’ai commencé à m’intéresser au métabolisme cellulaire et à sa connexion avec les pressions mécaniques subies par les cellules.

J’ai alors intégré l’IPMC en 2019 afin de développer mon axe de recherche focalisé sur l’étude des connexions entre les contraintes mécaniques exercées sur les cellules et leur métabolisme. Mon projet s’intègre parfaitement dans les thématiques et l’environnement technologique de l’institut, qui me permet d’accéder aux plateaux techniques et plateformes nécessaires à la réalisation de l’étude.

Qu’en est-il de vos projets actuels et à venir ?

Depuis mon arrivée à l’IPMC, nous avons démontré que l’augmentation du métabolisme cellulaire en réponse aux contraintes mécaniques subies par les cellules tumorales induit la glutamylation des microtubules, conduisant ainsi à les stabiliser et à stimuler leur croissance, un mécanisme qui contribue in fine au processus métastatique (Torrino et al., Cell Metabolism, 2021).

Suite à mon recrutement au CNRS cette année, je vais poursuivre mon projet et étudier plus largement le rôle de la glutamylation, une modification post-traductionnelle des protéines, dans la progression tumorale. Le projet, initialement focalisé sur le cancer du sein, découle de la constatation que l’augmentation de la rigidité de la matrice extracellulaire induit une augmentation globale de la glutamylation des protéines. Dans ce contexte, je souhaite déterminer les connexions entre les forces mécaniques, le métabolisme et la glutamylation et étudier comment le mécanisme mis en place permet à la cellule de s’adapter et de favoriser la progression tumorale.

Nous utiliserons différents types d’approches pour ce projet. D’une part, une approche in vitro permettant de jouer sur la rigidité de la matrice extracellulaire afin d’étudier les conséquences sur la biologie de la cellule. D’autre part, une analyse protéomique sera réalisée afin d’identifier la nature des protéines glutamylées et leur site de modification, pour ensuite aller plus loin dans l’étude des mécanismes moléculaires impliqués dans la mise en place et la fonction de ces modifications.

L’attribution du financement Émergence 2022 est un réel atout pour la réalisation de ce projet, en permettant notamment de recruter un technicien pour réaliser les différentes expériences nécessaires. Je remercie chaleureusement le Canceropôle pour cette opportunité.

Quelles sont les perspectives de votre travail dans le domaine de la cancérologie ?

A plus long terme, notre travail centré sur la glutamylation des protéines pourrait permettre d’identifier de nouveaux points d’entrée thérapeutiques, notamment pour la prise en charge des cancers du sein. Dans ce cadre, le ciblage des microtubules par des molécules de la famille du taxol induit très fréquemment une résistance au traitement. L’inhibition de la glutamylation des microtubules aurait un effet similaire à celui du taxol sur certains aspects de la progression tumorale, mais avec beaucoup moins d’effets secondaires pour la cellule.