Pascal Auquier, professeur de Santé publique à Aix Marseille Université, nous présente aujourd’hui le développement de la cohorte LEA, qui fête en 2024 ses 20 ans d’existence. Ce programme d’envergure permet le suivi à long terme des personnes ayant été prises en charge pour une hémopathie maligne dans l’enfance ou l’adolescence ; et traite en parallèle les aspects cliniques et psychosociaux dans le but d’améliorer le parcours de soin des patients.
Quel est l’objectif de la cohorte LEA et comment a-t-elle vu le jour ?
La naissance de ce projet est associée à une rencontre ayant eu lieu en 2004 entre le Pr Gérard Michel, professeur d’oncohématologie pédiatrique, et moi-même. A l’époque commençait à se poser la question du devenir à long terme des patients ayant été traités pour une leucémie dans leur enfance. En effet, l’apparition de traitements combinés chimiothérapie/greffe de cellules souches dans les années 1990 a permis de passer d’un taux de mortalité de 80% à un taux de survie de 80%. Le corollaire de cet important progrès fut le vieillissement des patients et l’apparition de nouvelles séquelles dont l’impact était inconnu, et pour lesquelles aucun suivi n’était organisé. Nous avons alors démarré un projet, LEA, ayant pour but de reconstituer le devenir d’une population ayant été diagnostiquée à partir des années 80 en établissant l’historique des patients grâce à des consultations régulières.
Qu’en est-il du développement de la cohorte LEA aujourd’hui ?
Le projet regroupe actuellement 19 CHU permettant d’inclure les trois quarts des enfants pris en charge pour une hémopathie maligne (soit plus de 7 100 patients). Initialement centré sur les leucémies, il inclut depuis quatre ans les lymphomes et d’autres hémopathies malignes. Il a permis la constitution d’une banque de données importante mais aussi la collecte de matériel biologique servant à développer la recherche biomédicale et génétique, pour expliquer l’apparition de séquelles différentes à traitement identique. Ces résultats permettront d’affiner le traitement des patients et leur suivi à long terme.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la population cible et le déroulement du suivi des patients ?
La population ciblée par les études de la cohorte LEA, est hyper-exposée aux séquelles à long terme. En effet plus de 60 % des patients vont présenter des séquelles majeures tel que petite taille, stérilité ou syndrome métabolique (conduisant à l’apparition de maladies vasculaires).
Le protocole peut être un peu contraignant : suite à une première consultation très standard qui permet le recueil d’information, le patient est suivi tous les deux ou quatre ans en fonction de son profil (typologie et traitement du patient : chimiothérapie, radiation, greffe). Peut-être en partie à cause de cela, nous constatons parfois une perte d’assiduité aux entretiens de suivi, d’où l’intérêt de cibler les personnes les plus à risque de développer les séquelles afin de concentrer le suivi sur cette catégorie.
Quel est l’objectif final du travail réalisé dans le cadre de la cohorte LEA ?
La constitution de la cohorte et l’activité de recherche associée sont réellement structurant. Le suivi repose sur une invitation systématique à une consultation avec étude des fonctions cardiaques, rénales, pulmonaires… Sont également standardisés la procédure d’inclusion des patients et l’envoi de questionnaires de suivi permettant d’évaluer différents aspects psychosociaux (insertion sociale et professionnelle, qualité de vie…).
À terme, l’objectif est de trouver une meilleure organisation pour suivre les patients post-cancer. En pédiatrie se posent 2 problématiques :
- Assurer un meilleur suivi des patients tout en « laissant tranquille » ;
- Adapter le suivi et le maintien du contact à la population cible qui est enfant au moment du traitement et va devenir adulte.
Ces pathologies restant des cancers rares, il est nécessaire de s’appuyer sur le tissu sanitaire existant pour inclure suffisamment de patients dans les études de suivi. L’organisation doit être centralisée autour du soin initial avec une organisation standardisée pour orienter les patients vers le suivi dont ils ont besoin. Par exemple, l’établissement d’un annuaire de spécialistes permettrait d’orienter le patient pour un suivi ophtalmologique ou une consultation d’endocrinologie avec un praticien familiarisé aux séquelles post-cancer.
A quelle problématique majeure la réalisation du projet est-elle confrontée ?
La vocation initiale de la cohorte est l’étude de l’importance et de la prévalence des séquelles, et du rôle du déterminisme génétique. Le 2e aspect important est l’analyse des risques psychosociaux liés à la fin du traitement et à l’apparition des séquelles.
La principale difficulté réside dans l’atteinte de certaines populations cibles et dans le maintien du suivi des patients au cours du temps. En effet, un patient qui a intégré le programme en 2004 en est à sa septième ou huitième consultation aujourd’hui. Certains patients ne reviennent pas suite à un déménagement par exemple, mais d’autres problématiques entrent aussi en jeu. Ces patients font partie de deux catégories : ceux qui présentent un facteur de risque plus faible de séquelles à long terme (démontrant que le rythme d’invitation n’est pas adapté) et ceux qui sont en difficulté avec l’accès à l’offre de soin.
Dans l’optique de l’amélioration de l’organisation des soins, un des projets développés actuellement au sein de la cohorte consiste à étudier l’adhésion au programme de suivi LEA en fonction de l’origine socio-économique des patients. Au travers de cette étude, les chercheurs étudient comment une population plus démunie socialement ou dans un environnement avec un tissu de soins moins développé sont affectés dans la poursuite du programme. Ce projet de recherche (Cosima mené par le Pr Julie Berbis) teste la mise en place d’assistants de coordination de suivi chargés d’organiser les rendez-vous et d’accompagner les patients au mieux. Il inclut aussi l’analyse d’un effet éducatif de l’équipe de soins avec la mise en place de guides de pratique et l’accès à un annuaire de spécialistes à destination des médecins. L’enjeu pour développer un programme de suivi organisé au niveau national est maintenant de prouver que l’investissement financier nécessaire pour le développer serait largement compensé car moins de patients seraient en errance, ce qui permettrait de diminuer les coûts de prise en charge.
Qu’en est-il du financement de la cohorte et des différents projets qui sont associés ?
LEA a démarré avec des crédits structurants notamment de la Ligue nationale du cancer. Le Canceropôle Sud a été un acteur crucial de la mise en place de la cohorte grâce à différents dispositifs de financement. Le budget structurant de la cohorte finance l’activité du personnel mobilisé dans les centres associés et l’équipe de coordination (chef de projet, statisticiens, gestion de la base de données). La partie recherche de la cohorte est financée via des fonds propres obtenus par les projets en réponse à différents appels dont ceux du Canceropôle. Le problème majeur rencontré par la cohorte est le manque de visibilité financière dans le temps. Pour une pérennisation du dispositif, nous devons démontrer qu’il permet de servir le soin au niveau économique ce qui permettrait d’obtenir des financements de l’assurance-maladie.
Comment le programme LEA s’inscrit-il dans le paysage national et international ?
Il existe quelques cohortes et recueils de données de suivi de ce type dans le monde dont notamment une développée au Pays-Bas avec laquelle nous avons actuellement des échanges pour réfléchir à des actions coordonnées. Il existe également un registre national du cancer de l’enfant (RNCE) qui a permis de décompter le nombre de patients atteints et de recenser des données de survie. Dans ce paysage, la cohorte LEA est très active avec un grand nombre de publications (entre deux et cinq par an), des résultats probants et une file active conséquente. L’implication du Canceropôle a été importante pour la réussite de ce travail et permet encore aujourd’hui de financer des projets de recherche associés à la cohorte LEA.