Lauréat d’un financement Émergence du Canceropôle Provence-Alpes-Côte d’Azur en 2017, Andrea Pasini, chercheur CNRS à l’Institut de Biologie du Développement de Marseille (IBDM), nous parle de ses travaux récemment publiés dans dans la revue scientifique américaine Developmental Cell : The Scf/Kit pathway implements self-organised epithelial patterning.

Comment a débuté ce projet ?
Le projet démarra suite à l’observation de l’expression du gène Kit dans l’épiderme de l’embryon de xénope. Kit code pour un récepteur tyrosine kinase dont les mutations sont à l’origine de plusieurs types de cancers,. Ayant débuté ma carrière en cancérologie par l’étude de récepteurs du même type, ce profil particulier a attiré mon attention.


Intéressé par la dynamique des épithéliums dans différents contextes, je trouve fascinant les similitudes existantes entre les processus développementaux et les mécanismes intervenant dans la formation des cancers. Je me suis donc penché sur l’étude de cet oncogène Kit, curieux de voir quel pouvait être son rôle dans un organisme en développement.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la réalisation de l’étude ?
Comme souvent en science, la direction initiale du projet a été modifiée en cours de route, et de nombreuses discussions ont permis d’arriver à l’élaboration des hypothèses et conclusions. Nous avons pu montrer que les cellules multicilliées présentes dans l’épithélium de l’embryon de xénope s’organisent dans l’espace grâce à un double mécanisme contrôlé par la voie Scf/Kit, alliant répulsion mutuelle et affinité pour les jonctions cellulaires de la surface de l’épithélium. Ce travail de longue haleine est le fruit d’une réflexion collective partagée avec Laurent Kodjabachian, chef de l’équipe Biologie des Épithélium Ciliés, et Alexandre Chuyen, qui a reçu un prix de la Société Française de Biologie du Développement pour son travail de thèse sur ce projet.

Quelques mots sur le modèle utilisé ?
Pour cette étude, l’utilisation de l’épiderme de xénope en développement est tout à fait pertinente. Contenant deux types cellulaires distincts, l’un exprimant le gène Kit et l’autre son ligand Scf, il permet de récapituler et d’analyser in vivo un comportement mobile précisément régulé. Je tiens d’ailleurs à souligner l’importance de financer des recherches en cancérologie réalisées sur des organismes modèles ou des processus développementaux, cruciaux pour étudier certains mécanismes, et je remercie le Canceropôle de soutenir ce type de projet.

Avez-vous rencontré des obstacles particuliers?
Nous avons été rapidement confrontés à une difficulté technique. Nous devions suivre le comportement très dynamique de cellules au sein d’un tissu. La réalisation de films de à haute définition et sur des temps de plusieurs heures impliquait une quantité importante de données à acquérir, stocker et analyser. Le financement Emergence que nous avons obtenu du Canceropôle permit d’acquérir le matériel informatique performant nécessaire à la réalisation du projet.

Il était également complexe de suivre précisément le trajet de cellules individuelles insérées dans un tissu lui-même en mouvement au cours du développement de l’embryon. L’aide de Fabrice Daian, informaticien à l’IBDM, a été déterminante pour découpler les deux types de mouvements. Ceci illustre l’importance d’arriver à obtenir des fonds pour du matériel ou du développement informatique, ce qui n’est pas toujours facile. 

Qu’envisagez-vous pour la suite de ce travail ?
La voie de signalisation que nous avons étudiée présente une caractéristique intéressante. Dans les cellules, le ligand Scf peut être présent sous deux formes, soluble ou membranaire. Classiquement, un signal est dirigé du ligand vers la cellule portant le récepteur, qui est alors destinataire de l’information et va agir en conséquence. La forme membranaire de Scf peut aussi conduire à une signalisation depuis la cellule portant le récepteur Kit vers la cellule exprimant le ligand Scf, d’où une hypothèse de signalisation bidirectionnelle qui sera analysée plus en détail.

…et les implications en cancérologie ?
Ce type de signal illustre une communication complexe entre deux types cellulaires présents dans un même tissu, comme c’est le cas dans le contexte tumoral où les cellules cancéreuses interagissent avec les cellules saines environnantes.

Nous avons mis en lumière un mécanisme permettant de réguler le déplacement et le positionnement de cellules particulières au sein d’un tissu. Ce mécanisme pourrait également agir lors du processus métastatique, où les cellules cancéreuses se déplacent au milieu de cellules environnantes qui leur permettront de passer ou non pour être disséminées hors de leur localisation initiale.

Propos recueillis par Laure Verrier, chargée de mission scientifique au sein du Canceropôle