Directeur de Recherche au sein de l’Institut de Recherche sur le Cancer et le Vieillissement de Nice (IRCAN) et récemment nommé membre représentant du CNRS au sein de l’Assemblée Générale du Canceropôle, Eric Röttinger nous parle ici de son parcours scientifique et de ses projets actuels et à venir.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?
Après avoir obtenu un master en pharmacologie, biologie cellulaire et moléculaire à l’Université de Nice, j’ai poursuivi par une thèse sur la mise en place des axes embryonnaires au cours du développement de l’oursin au sein du laboratoire de Biologie du Développement de l’Observatoire Zoologique de Villefranche-sur-Mer dans l’équipe de Thierry Lepage. Étant depuis toujours passionné par le monde marin, les organismes qui y vivent et leurs fascinantes capacités biologiques, après la soutenance de ma thèse en 2006, j’ai déménagé à Hawaï pour faire un postdoctorat pendant 6 ans à l’Université d’Hawaï à Manoa au Pacific Biomedical Research Center.
Mon projet d’étude était axé essentiellement sur la caractérisation moléculaire et signalétique du développement embryonnaire de deux organismes marins différents, un ver entéropneuste marin (hémichordé) et une anémone de mer. En parallèle de ces études sur la phase de développement de l’embryon, je me suis aussi beaucoup intéressé au processus de régénération extrême chez l’anémone de mer, capable de redonner deux animaux complets une semaine après bissection. C’est dans ce contexte que j’ai pu échanger avec le professeur Eric Gilson, directeur de l’IRCAN depuis sa création en 2012, autour de la thématique de l’étude comparative entre le processus de développement embryonnaire et celui de la régénération. Ces discussions ont par la suite abouti à ma candidature, puis à l’obtention du prix ATIP-Avenir m’ayant permis de revenir à Nice et de monter mon équipe « Réponse au stress, régénération et longévité » au sein de l’IRCAN en 2013.
Quelles sont actuellement les thématiques étudiées au sein de votre équipe ?
Nos projets de recherche sont aujourd’hui essentiellement axés autour des processus moléculaires et des voies de signalisation impliquées dans la réponse aux stress environnementaux, la biologie de la régénération et la longévité des cnidaires (anémones de mer, coraux, etc). L’axe d’étude comparative avec l’embryogenèse a bien avancé avec des résultats publiés, et deux autres actuellement en révision. De façon globale, nous avons pu identifier une structure interne de l’animal adulte qui est cruciale pour l’induction de l’activation des cellules souches et le processus de régénération, identifier que l’apoptose chez cette anémone de mer est un processus spécifique à la régénération, et que l’activation du réseau de régulation génique suivant l’amputation réactive des éléments embryonnaires mais dans un contexte ré-organisé et interconnecté avec des éléments régénération spécifique.
Ces organismes sont aussi très résistants à certains stress environnementaux néfastes, voire mortels, pour des cellules humaines (variation de température, exposition à des réactifs de l’oxygène, taux d’irradiation). Cette autre caractéristique est également un volet de recherche que l’on explore dans l’équipe. Nous nous intéressons en effet à cette capacité de résistance et au fait que ces animaux ne développent presque jamais de prolifération anarchique de type cancéreuse. L’objectif à long terme est de pouvoir identifier des gènes responsables de ce processus et de comprendre ainsi les bases génétiques, moléculaires et cellulaires impliquées dans la résistance aux variations environnementales extrêmes et au stress chez ces animaux.
Une des singularités de ces organismes marins est leur espérance de vie étendue qui représente un troisième axe de recherche au sein de mon équipe. En effet, des suivis biologiques, des analyses chimiques et des modèles mathématiques, ont estimé la durée de vie de certains cnidaires à plus de 4000, voire 14 000 ans. Ces organismes sont autrement dit ‘virtuellement immortels’ et cette caractéristique est d’un fort intérêt. L’identification des mécanismes qui sous-tendent ce phénomène pourraient par la suite être transférés à l’étude du vieillissement chez les mammifères. L’anémone de mer Nematostella vectensis semble avoir les mêmes capacités de longévité que les organismes cnidaires déjà étudiés pour la longévité (coraux, Hydre d’eau douce) et les expériences spécifiques de longue durée chez Nematostella sont en cours. L’objectif est ainsi de comprendre si les gènes associés à la résistance au stress, à la réparation et régénération, sont aussi impliqués dans la longévité de cet animal et ainsi caractériser les différentes dynamiques et signatures moléculaires engagées dans cette incroyable capacité physiologique et biologique leur conférant une longévité en bonne santé.
Quelle est la place de vos projets dans le domaine du cancer ?
Les caractéristiques régénératrices, les capacités à gérer des stress environnementaux, l’absence de formation de cancer de manière spontanée et la durée de vie de ces organismes marins sont des atouts attrayants pour leur étude. De plus, ils possèdent une morphologie d’apparence simple (qui facilite certaines approches expérimentales), tout en ayant une surprenante conservation génomique/voies de signalisation et similitude de types cellulaires/tissulaires avec les vertébrés. Cet ensemble de facteurs font de ces modèles d’études, notamment Nematostella vectensis pour qui les outils génétiques CRISPR-CAS9 sont développés, des systèmes à fort potentiel pour notre compréhension de la biologie du cancer, voire de la lutte intrinsèque contre la formation de tumeurs.
Ainsi, des collaborations ont pu être mises en place avec des équipes expertes en cancérologie. C’est notamment le cas pour l’étude des cancers pédiatriques. Nous collaborons actuellement avec l’équipe de Vincent Picco du Centre Scientifique de Monaco qui travaille sur le médulloblastome. De plus en plus d’études démontrent que la formation de cancers pédiatriques est due à un défaut de mise en place de réseaux géniques impliqués dans la neurogenèse précocement au cours du développement, et non pas aux oncogènes classiquement étudiés dans les tumeurs adultes. Dans ce contexte, nous surexprimons des gènes candidats (identifiés comme potentiellement impliqués dans les cancers pédiatriques) chez l’anémone de mer Nematostella vectensis, afin de déterminer si cela induit une hyper-prolifération neuronale, pour ensuite passer à l’étude sur les modèles murins. Ce projet est actuellement financé par l’INCa via l’appel à projets « High risk, high gain » thématisé autour des cancers pédiatriques et par le GIS FC3R, qui est un groupement d’intérêt scientifique ayant pour objectif de promouvoir le remplacement des modèles murins par des modèles alternatifs.
Toujours dans le domaine du cancer, mon équipe a obtenu un financement du Canceropôle en 2019 via l’appel à projets Emergence pour développer une stratégie d’identification de molécules bioactives d’intérêt anticancéreux d’origine marine. Grâce à cette première aide précieuse, nous avons réussi à avoir des résultats innovants qui nous ont permis d’obtenir un financement prématuration, puis Deep Tech de l’Université Côte d’Azur (UCA), et plus récemment un financement de prématuration de la SATT Sud-Est. Ces études ont abouti à la mise en place d’un savoir-faire, actuellement en cours de mise à jour et des négociations entre la SATT Sud-Est et une start-up en cours de création pour un transfert de cette technologie ont été initiées.
Afin de pouvoir développer ces projets de recherche, et pour donner la possibilité à la communauté académique et socio-économique d’avoir accès à des modèles de recherche émergents et innovants, nous venons de mettre en place au sein de l’IRCAN une plateforme d’invertébrés marins pour la recherche sur le (anti)vieillissement – ANTIAGE. Il s’agit d’une première en France, car cette plateforme est localisée au sein d’une Faculté de Médecine, celle de Nice, et dans un centre de recherche travaillant sur cancer et vieillissement.
Le fait d’avoir rejoint l’Assemblée Générale du Canceropôle en tant que représentant CNRS est un réel honneur car cela consolide cette vision complète de la recherche en cancérologie et en biologie de manière générale. J’espère pouvoir y contribuer le mieux possible et participer à l’avancée dynamique et active des différentes études et projets en cours environnés et soutenus par le Canceropôle. Nous avons créé au sein de l’UCA, un Institut Fédératif de Recherche (IFR MARRES) qui rassemble les acteurs travaillant sur la thématique marine et dont je suis le directeur actuel. Dans ce contexte, je suis assez content et fier de voir que les modèles marins peuvent et sont aujourd’hui vus comme des modèles complémentaires et alternatifs aux vertébrés pour l’étude du cancer au vu de leurs capacités biologiques fascinantes et complexes.
Les études réalisées dans notre équipe seront présentées le 27 juin prochain lors du prochain Seminar Series du Canceropôle.
Nous allons très prochainement recruter un ingénieur en génie génétique et nous sommes toujours ouverts à échanger avec des thésards ou postdocs désireux de rejoindre l’équipe !