Fabienne Brenet, chercheuse à l’Inserm, anime le groupe de recherche « Oncométabolisme dans les hémopathies malignes » dans l’équipe « Signalisation, Hématopoïèse et Mécanismes de l’Oncogenèse » co-dirigée par Patrice Dubreuil et Paulo de Sepulveda dans le département Onco-Hématologie & Immuno-Oncologie (OHIO) du CRCM. Elle nous parle ici de son parcours scientifique et des projets qu’elle développe.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?
Mes intérêts scientifiques ont toujours été centrés sur la plasticité cellulaire qui est une propriété essentielle du devenir d’une cellule et de son adaptation à son environnement. Cette plasticité cellulaire est régie par un ajustement constant du programme d’expression des gènes dont j’ai abordé les différents aspects lors de mon parcours scientifique.

Après une thèse réalisée à l’Institut Fédératif de Recherche Jean Roche de Marseille sur la régulation des ARNs par leur régions non codantes, j’ai effectué un post-doctorat à New York, USA, au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center où j’ai étudié les dérégulations de la traduction dans le cancer dans un laboratoire pionnier des modèles murins précliniques de gliomes générés par le système RCAS-tva (Replication-Competent AS tumor virus A). J’ai poursuivi mes travaux lors d’un second post-doctorat en rejoignant le « Leukemia Program » de Weill Cornell Medical College à New York. Mes travaux sur les altérations épigénétiques dans les leucémies aiguës myéloïdes m’ont permis d’aborder les mécanismes impliqués dans la régénération hématopoïétique après une chimiothérapie myélosuppressive et ont débouché sur un brevet et un essai clinique en collaboration étroite avec les cliniciens du New York-Presbyterian Hospital.

Suite à ces expériences très enrichissantes et formatrices, j’ai souhaité rejoindre la France et j’ai choisi de poursuivre mes travaux au CRCM dont l’originalité, étant localisé sur le site de l’Institut Paoli-Calmettes, est de combiner la biologie la plus fondamentale à une recherche clinique innovante. J’ai donc intégré l’équipe de Patrice Dubreuil dans laquelle j’ai été recrutée à l’Inserm en tant que chargée de recherche.

Dans l’équipe, mon axe de recherche est focalisé sur la régulation métabolique de la transduction du signal et la compréhension des mécanismes d’adaptation métabolique des hémopathies malignes. Plus particulièrement, nous cherchons à comprendre comment un cancer agressif létal comme la leucémie surmonte ses propres challenges métaboliques et comment ses dépendances spécifiques peuvent-être cibler à des fins thérapeutiques.

Quels sont de vos projets actuels et à venir ?
Actuellement nos projets sont centrés sur l’identification des vulnérabilités métaboliques associées à la signalisation oncogénique dépendante du récepteur tyrosine kinase KIT dans les hémopathies myéloïdes agressives. Nos travaux reposent sur l’hypothèse selon laquelle les phénotypes des cancers agressifs KIT-dépendant émergent de l’initiation et de la persistance de cellules à forte plasticité métabolique.

Un modèle d’étude puissant de la progression oncogénique dépendante de KIT est la mastocytose systémique (MS). Cette hémopathie hétérogène se caractérise par l’accumulation incontrôlée de mastocytes néoplasiques activés portant la mutation KIT D816V principalement dans la moelle osseuse et en fonction de leur degré d’infiltration dans cet organe, elle se présente sous forme chronique indolente ou sous forme de leucémies très agressives difficiles à traiter.

Notre laboratoire fait partie du réseau des Centres de Référence Français des Mastocytoses (CEREMAST) dont il est laboratoire de compétence pour le diagnostic génétique. Nous avons recensé plus de 2 000 patients présentant des pathologies liées au mastocyte. Cette collaboration nous permet d’établir des cohortes inédites de ces pathologies et de collecter des échantillons de plasma de patients dans le cadre de la consultation CEREMAST (Pr O. Hermine, Hôpital Necker- Institut Imagine, Paris) et l’association de patients AFIRMM (Association Française pour les Initiatives de Recherche sur le Mastocyte et Les Mastocytoses).

Par une approche métabolomique combinée à des techniques d’étude du transcriptome et de l’épigénome dans des échantillons primaires de patients, nous avons identifié une signature métabolomique de l’agressivité des MS et identifié le N-acétyl-D-glucosamine (GlcNAc) comme un oncométabolite régulateur de la structure de la chromatine dans les mastocytes néoplasiques (Agopian et al., 2021, Blood).

Le soutien financier du Cancéropole Sud par un financement Emergence suivi d’un financement Prématuration a été déterminant et a eu un effet levier dans la poursuite de ce projet. Il nous a permis de consolider nos données pour un dépôt de brevet (Brevet WO2022/180236, SATT Sud-Est) et la mise au point d’un test simple de dosage du GlcNAc en routine sur une goutte de sang, comme pour la mesure du taux de glucose utilisé dans la gestion du diabète, est en cours d’étude de faisabilité ; la mesure du GlcNAc ne pouvant être réalisée que par spectrométrie de masse à ce jour. Nous espérons pouvoir proposer aux cliniciens un test diagnostique compagnon fiable.

En plus du GlcNAc, nous avons également identifié la kynurénine (L-Kyn) et l’activation de la voie du catabolisme du TRP (dont elle fait partie) comme des acteurs majeurs de l’agressivité de la MS. Nos expériences fonctionnelles par profilage métabolique (Méthode SCENITH, R. Argüello, CIML) montrent que la L-Kyn induit une reprogrammation du métabolisme des lipides qui favorise la survie et la dégranulation des mastocytes néoplasiques. Nous avons identifié une signature transcriptomique de AHR, le récepteur intracellulaire de la L-Kyn, dans les mastocytes triés de patients et mis en évidence l’augmentation significative de l’expression de deux transporteurs de lipides dont les inhibiteurs sont en essais cliniques avancés dans des tumeurs solides. Nous testons actuellement le potentiel thérapeutique de leurs inhibitions dans des modèles précliniques de leucémie à mastocytes et dans des échantillons primaires de patients.

Nos observations suggèrent que cibler cette vulnérabilité métabolique pourrait être efficace chez les patients présentant une concentration plasmatique élevée de L-Kyn qui ne répondent pas aux traitements utilisés en routine clinique.

Quelles sont les perspectives de votre travail dans le domaine de la cancérologie ?
Nos résultats montrent l’étonnante flexibilité des mastocytes et leur capacité à activer un répertoire varié de programmes métaboliques finement régulés qui favorisent leur prolifération et leur survie. Dans les années à venir, nous poursuivrons notre exploration du rôle des métabolites dans la transduction du signal. Nous avons récemment identifié une nouvelle modification post-traductionnelle de la pyruvate deshydrogénase (PDH, enzyme pivot entre la glycolyse et le cycle de Krebs), induite par le métabolisme. Nous poursuivrons la caractérisation de cette marque dans les leucémies aigües myeloïdes dans lequel elle semble jouer un rôle particulièrement important de rhéostat pour moduler la production d’acétyl-CoA.

Les métabolites sont des molécules de signalisation et leurs cibles ainsi que les transducteurs par lesquels ils signalent, commencent seulement à être découverts. L’amélioration de la sensibilité de techniques comme l’imagerie par spectrométrie de masse permettra d’obtenir des informations spatiales sur la manière dont la production de métabolites cellulaires varie à différents endroits d’un même tissu et d’aborder une nouvelle dimension dans l’exploration du métabolisme. Une caractérisation détaillée des échanges de métabolites entre les cellules et les tissus au cours du temps mènera à une meilleure compréhension des mécanismes impliqués dans les changements pathologiques et physiologiques. Ces nouvelles connaissances permettront d’établir le tableau complexe de l’état métabolique et de la manière dont les organismes déclenchent et répondent rapidement aux signaux métaboliques pour maintenir l’homéostasie face à des changements constants.

Je suis enthousiaste à l’idée de participer à ce domaine de recherche en plein essor et j’espère que nos découvertes permettront de compléter les connaissances sur la transduction du signal par les métabolites et de développer de nouvelles options thérapeutiques afin d’améliorer la prise en charge des patients atteints de leucémies myéloïdes agressives.

Pour en savoir plus sur ses projets, rejoignez le Dr Brenet lors de la 5ème édition du meeting Metabolism & Cancer à Nice en Novembre prochain où elle donnera une conférence.

Pour en savoir plus sur la Kynurénine, retrouvez le pitch de Giulia Scorrano (doctorante au laboratoire)  à la dernière session « The Talented Researchers popularize the Science » lors du Séminaire Annuel du Canceropôle Sud 2022, en cliquant ici.