DR Inserm, Nelson Dusetti est co-responsable du département Translate-It et responsable de l’équipe cancer pancréatique au Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM).
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Né en Argentine, j’ai effectué ma thèse de science à Marseille dans l’équipe dirigée par le Dr Iovanna, pendant laquelle j’ai étudié la régulation de l’expression génique lors du stress cellulaire utilisant comme modèle la cellule pancréatique. Mon intérêt s’est ensuite porté vers la cancérogénèse au moment de l’obtention de mon poste Inserm en 1998. Je mène alors différents projets de recherche fondamentale, notamment pour étudier la capacité des cellules cancéreuses pancréatiques à se défendre et identifier les mécanismes sous-jacents aux étapes précoces de la cancérogenèse pancréatique. En 2011, avec la création du CRCM, le choix stratégique d’un rapprochement vers les cliniciens de l’Institut Paoli Calmettes (IPC) oriente mes projets vers la recherche translationnelle, une réelle vocation.
Cette opportunité nous a permis de réaliser le projet PaCaOmics, une étude de grande envergure de cohortes de patients à l’aide d’une combinaison de différentes techniques de modélisation in vivo (PDX) et in vitro (cultures cellulaire et organoïdes dérivés des patients) dans le but d’associer des profils moléculaires à la sensibilité des patients au traitement. Cette étude fut la base de nos projets suivants. L’idée était de modéliser les tumeurs pour tester un traitement donné et évaluer la réponse. Même si ces modèles sont différents de ce qui se passe chez le patient, ils auront permis d’identifier des signatures moléculaires associées à la sensibilité à différents traitements.
Quelle a été la suite de ce projet de grande envergure ?
Nous nous sommes concentrés sur les signatures transcriptomiques pour réaliser une étude rétrospective en aveugle. Nous avons ainsi pu montrer que les signatures évaluées sur des échantillons obtenus lors de l’essai clinique PRODIGE 24 pouvait prédire de façon précise les différentes réponses au traitement qui avaient été observées chez les patients.
Des résultats de ce travail découlent plusieurs essais cliniques prospectifs. L’essai PacSign mené par Cindy Neuzillet à l’Institut Curie évalue la prédiction de la réponse au traitement par les signatures transcriptomiques chez des patients atteints de cancer du pancréas métastatique. L’essai GemSign mené par le Dr Mitry à l’IPC, démarre à peine et vise à évaluer l’efficacité d’un traitement des cancers du pancréas métastatiques sur des patients fragiles où les problèmes de toxicité conditionnent le traitement et font des signatures prédictives un outil d’importance pour le choix du traitement.
Un autre essai porté par le Dr Chanez de l’IPC et sous l’égide du groupe Unicancer (NeoPredict) va également être lancé cette année afin d’évaluer la mise en place d’un traitement personnalisé sur la base des signatures transcriptomiques pour des patients atteint d’un cancer localement avancé. L’enjeu ici est de pouvoir traiter les patients et de les opérer en suite, permettant d’augmenter considérablement leur survie. Cet essai multicentrique a une envergure nationale, ce qui permet d’augmenter le nombre de patients inclus dans l’étude, une nécessité pour ces cancers peu fréquents si on les compare aux cancers du poumon ou du colon.
Ces avancées importantes dans le domaine du cancer du pancréas ont également abouti à plusieurs publications scientifiques (dont Nicolle et al Annals of Oncology 2021, Fraunhoffer et al., Gastroenterology, 2023, Nicolle et al J.Clin.Oncol 2023).
Pourquoi cet intérêt marqué pour la recherche translationnelle ?
J’ai consacré une grande partie de ma vie à la science, une vocation qui m’a éloigné de mes origines et qui continue de m’habiter profondément. Encore aujourd’hui, elle représente un moteur immense qui me pousse à me lever tôt et à venir travailler avec bonheur chaque jour. L’idée de laisser une empreinte tangible et d’être « utile » a toujours été l’une des motivations les plus importantes qui ont guidé les choix que j’ai dû faire à travers ma vie professionnelle et personnelle. Une bonne partie de mon parcours est déjà faite et mon objectif pour les dix prochaines années est que les avancées découlant des recherches de mon équipe profitent aux patients. Dans cette perspective, mes travaux se sont orientés vers la recherche translationnelle, un choix pragmatique visant à favoriser les projets permettant un transfert rapide vers la clinique.
Parlez-nous de vos motivations à l’origine du développement de vos projets dans le domaine du cancer du pancréas.
La notion d’urgence concernant le cancer pancréatique est une motivation importante pour moi. En effet, l’incidence de ce cancer augmente et les avancées scientifiques ne sont pas aussi rapides. De plus, c’est un cancer qui présente une forte mortalité et le développement rapide de solutions thérapeutiques a un réel intérêt pour le soin public.
La deuxième composante importante à mes yeux est la valorisation industrielle, car elle permet de concrétiser le transfert des résultats de recherche vers le patient. Dans cette optique, nous avons déposé plusieurs brevets, et nos travaux ont abouti à la création de la start-up nommé Predicting-Med dont je suis co-fondateur. Cette société, spin off de l’IPC et du CRCM, est hébergée à Marseille Grand Luminy, est centrée sur l’utilisation de signatures moléculaires pour apporter des solutions aux cliniciens et faciliter la prise en charge personnalisée des patients. Elle se positionne également comme partenaire d’essais cliniques GemSign et NeoPredict.
Quels sont les enjeux inhérents au développement d’un projet de recherche sur le cancer du pancréas, et comment se positionne votre stratégie scientifique ?
Du fait de la situation d’urgence, il est important de pouvoir proposer de nouvelles solutions pour les patients le plus rapidement possible. Dans ce contexte, la meilleure option est de personnaliser les thérapies qui sont déjà prouvées efficaces, stratégie que nous privilégions dans l’équipe. Nous souhaitons développer des marqueurs de prédictions robustes pour pouvoir prédire la réponse au traitement par l’analyse de la tumeur du patient, et pouvoir proposer le protocole le mieux adapté à chaque patient individuellement. Par exemple, la prédiction de la sensibilité à la gemcitabine permettrai de traiter efficacement les patients qui y sont sensibles et d’éviter d’autres traitement qui sont beaucoup plus toxiques comme le régime Folfirinox.
Par ailleurs, la réalisation d’un essai clinique est compliquée dans cette pathologie car elle concerne relativement peu de patients. De ce fait, le cancer du pancréas est très fédérateur. Nous évitons la compétition interne dans la thématique et cette pénurie des échantillons provenant des tumeurs génère beaucoup de cohésion entre les équipes de recherche et aussi entre les centres hospitaliers, qui collaborent donc efficacement pour pouvoir réaliser ces essais.
Dans quel environnement scientifique réalisez-vous vos projets ?
Je fais partie d’une grande équipe travaillant sur le cancer pancréatique à Marseille, fondée par Juan Iovanna et j’ai le privilège de co-diriger avec lui depuis janvier 2024. Plusieurs axes de recherche sont développés dans l’équipe : protéomique, étude de la glycosylation et de la modification de la surface cellulaire, invasion et adhésion, découverte de nouvelles cibles thérapeutiques entre autres. Notre équipe comprends des chercheurs scientifiques et plusieurs cliniciens de l’IPC et de l’AP-HM, ce qui est crucial à mes yeux pour orienter les projets de recherche translationnelle et rendre possible un transfert rapide des résultats vers la clinique. Je pense que la bonne pratique en recherche translationnelle est de partir des besoins remontés par les cliniciens pour aller vers le travail des chercheurs scientifiques.
La recherche fondamentale fait aussi partie des activités de notre équipe afin de pouvoir augmenter notre compréhension de manière plus générale et ainsi identifier de nouvelles cibles thérapeutiques et développer des thérapies innovantes, et il faut la préserver ! De nombreux projets sont d’ailleurs développés en ce sens au sein de l’équipe. Par exemple, l’étude du profil des tumeurs de patients multirésistants à la chimiothérapie nous permettent d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques pouvant être à la base de nouveaux traitements. Nous étudions aussi la possibilité de repositionner des médicaments utilisés pour d’autres pathologies ou encore de tester l’effet de molécules connues pour des effets particuliers sur les cellules néoplasiques mais encore non étudié sur le cancer pancréatique.
Notre équipe bénéficie d’un excellent environnement scientifique, notamment grâce à son intégration dans le département Translate-It du CRCM dont je suis co-responsable. Dans ce département de recherche translationnelle et thérapies innovantes se côtoient des cliniciens et des chercheurs sur des projets focalisés sur des cancers différents, ce qui permet de partager les avancées pour accélérer le transfert vers la clinique.
Le Canceropôle est un soutien important pour notre équipe. Il a notamment permis de financer la constitution d’une biobanque et la réalisation de projets utilisant des organoïdes pancréatiques, et finance cette année un projet collaboratif réalisé par un binôme jeune chercheur (Nicolas Fraunhoffer) et clinicien (Brice Chanez) dans le cadre des « Translationnelles ». Merci de nous soutenir et d’investir dans le travail des jeunes, c’est grâce à eux que l’avenir sera fantastique !